Attirer les meilleurs talents (et les garder) est la clef pour le succès d’une entreprise. C’est d’autant plus vrai dans un marché du travail très concurrentiel. Il faut la bonne personne au bon moment, capable de s’adapter au même rythme que le marché.
Malheureusement, de nombreux dirigeants prennent le sujet à l’envers. Ils se concentrent sur des intitulés de poste et des missions fixes à confier aux nouvelles recrues plutôt que de prendre en compte les compétences à attirer et développer en interne. En bref, ils réfléchissent en termes de postes et non de compétences.
Dans cet article, j’analyserai le changement de perspective radical des grandes entreprises vis-à-vis des talents, ainsi que les six piliers qui permettent de passer d'un modèle opérationnel axé sur l’emploi à un modèle axé sur les compétences. Je montrerai comment cette approche peut rendre les organisations plus flexibles, plus solides et plus concurrentielles.
Commençons par une question qui taraude bon nombre de chefs d'entreprise.
Nous avons discuté avec Paul Courtaud, dirigeant de Neobrain, des défis et opportunités liés au passage à un modèle opérationnel axé sur les compétences. Selon lui, chaque fois qu'il interroge ses homologues sur ce qui freine la croissance de leur entreprise, il obtient la même réponse : soit trouver les bons talents est trop chronophage, soit les talents ne sont tout simplement pas en recherche d’emploi. C'est un problème majeur et difficile à résoudre.
Prenons par exemple les évolutions récentes dans le domaine de l'hydrogène vert. De nombreux pays s’orientent vers l’énergie verte, ce qui pousse les fournisseurs d’énergie à chercher en continu de nouveaux ingénieurs spécialisés en hydrogène. Malheureusement, ils ne sont tout simplement pas assez nombreux sur le marché.
Vous pouvez promettre tout l’or du monde et autant d’avantages en nature pour attirer de potentiels candidats : c’est souvent inefficace. En effet, quand les compétences et l'expérience sont rares, les organisations doivent changer de perspective sur l'allocation des ressources, et renouveler leur façon de responsabiliser les personnes compétentes.
Les entreprises leaders ont donc commencé à envisager différemment la question des talents.
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Les notions classiques en ressources humaines pour recruter et fidéliser les talents ne suffisent pas pour analyser la situation actuelle. Plutôt que d’établir des prévisions annuelles sur les compétences nécessaires et de recruter en fonction, les entreprises devraient réorganiser leurs compétences en interne pour optimiser leurs ressources déjà disponibles et s’adapter aux signaux du marché.
Deloitte explore cette piste dans cet article de 2022, en mettant en avant le fait que les entreprises leaders appliquent ce modèle pour répondre à la demande croissante d’agilité, de contrôle et d’équité de la part de leurs employés.
Comme l’indique l’article : “Restreindre le travail à des tâches millimétrées au sein d’un emploi purement exécutif, et prendre toutes les décisions managériales selon le grade des employés dans la hiérarchie entrave certains des objectifs organisationnels les plus décisifs : l’agilité, la croissance et l’innovation; la diversité, l’inclusion et l’équité; et la capacité de créer une expérience professionnelle positive pour les employés.”
Pour dépasser ce problème, les leaders du marché se penchent sur un modèle opérationnel qui s’appuie non plus sur les postes mais sur les compétences, qui sont à l’origine de la création de talent au sein de l’entreprise. Comme le fait remarquer Anish Singh, responsable des ressources humaines d’Unilever en Australie et en Nouvelle-Zélande, "Nous commençons à considérer chaque rôle chez Unilever comme un ensemble de compétences, plutôt que comme une simple fiche de poste".
Les dirigeants s’intéressent fortement à un modèle d’organisation basé sur les compétences. D'après une enquête réalisée par Deloitte, 81 % des cadres interrogés préfèrent soit un modèle de travail fractionné, où les collaborateurs choisissent des projets en fonction de leurs compétences et de leurs intérêts (60 % des répondants), soit un modèle de travail élargi, où les rôles sont définis en fonction des résultats souhaités (21 % des répondants). Seulement 19 % des répondants préfèrent un modèle de travail traditionnel basé sur les intitulés de postes.
Ce modèle permet également aux individus d’utiliser facilement leurs compétences sur divers projets et tâches au sein de l'organisation, plutôt que de se restreindre à des missions fixes. Étant donné que 55 % des employés déclarent qu’ils envisagent voire ont déjà changé de méthode de travail au cours de leur carrière (par exemple, en passant d'un projet à un autre grâce à une bourse aux talents), cette flexibilité représente un avantage significatif pour vos collaborateurs les plus talentueux.
Alors, comment effectuer cette transition ?
Passer d'un modèle traditionnel basé sur les emplois à un modèle basé sur les compétences peut sembler complexe. En réalité, cela peut se résumer en six étapes clés.
Tout d'abord, commencez par effectuer une auto-évaluation des compétences existantes au sein de votre organisation. Voici les deux étapes :
Grâce à cette analyse approfondie de la situation actuelle, vous pourrez mieux comprendre les aspirations de vos collaborateurs et la direction qu'ils souhaitent prendre.
En utilisant les profils de compétences établis dans la première étape, créez une plateforme interne qui met en avant des rôles disponibles en fonction des besoins de l'entreprise.
En offrant cette visibilité, vous permettez à vos employés de se projeter au sein de l'organisation, plutôt que de rechercher en continu de nouvelles offres d’emploi sur LinkedIn.
Une fois que vous avez identifié les objectifs d’évolution de vos employés et les compétences nécessaires pour les atteindre, vous pouvez ajuster votre programme de formation en réalisant les étapes suivantes :
Ce qui nous amène au sujet suivant : la gestion de la performance.
Faites en sorte que vos managers parlent régulièrement des compétences avec leurs équipes et mettent l'accent sur le développement de celles-ci lors des entretiens d'évaluation.
En intégrant cela dans votre gestion de la performance, vous donnez aux responsables et aux coaches de nouveaux outils pour comprendre les aspirations de leurs équipes et les aider à les atteindre en développant de nouvelles compétences ou en utilisant celles qu'ils ont déjà.
En plus de la gestion de la performance basée sur les compétences, il est essentiel de changer la manière de recruter qui, au lieu de se baser principalement sur l'expérience des candidats, se concentre principalement sur les compétences nécessaires pour votre entreprise.
Ce type de processus de recrutement consiste à évaluer les candidats en fonction de leurs aptitudes et de ce qu'ils peuvent apporter à votre organisation, plutôt que de se focaliser sur leur formation ou leur expérience professionnelle passée.
En conclusion de ces 6 étapes : assurez-vous de bien prendre en compte l'importance des compétences dans votre allocation des ressources humaines. Pour les grandes entreprises, cela peut se traduire par un changement dans la façon dont les tâches sont effectuées.
Grâce à l’identification des compétences effectuée lors des étapes 1 à 5, votre équipe RH peut maintenant aligner les objectifs de l'entreprise avec ceux du personnel. Vous comprendrez mieux les atouts de votre équipe actuelle et comment atteindre vos objectifs.
Par exemple, comment pouvez-vous aider vos collaborateurs actuels à développer de nouvelles compétences plutôt que de chercher de nouvelles recrues ? Et comment mettre en œuvre ce concept lors de projets précis ?
Prenons un exemple concret. Bosch, entreprise internationale de technologie et d'ingénierie, devait licencier 1400 personnes en raison du marché qui se détourne de plus en plus du diesel. Pourtant, en passant à un modèle basé sur les compétences, l’entreprise a réussi à sauver 800 emplois. Bosch a noué un partenariat de sous-traitance avec Airbus sur plusieurs projets pour mieux allouer ses compétences en ingénierie.
Enfin, n'oubliez pas qu’une transition vers une nouvelle organisation du travail peut prendre du temps. L'idée de découper le travail en fiches de postes délimitées est tellement ancrée dans notre façon de recruter et de gérer les talents qu'il peut falloir des mois, voire des années, pour faire ce changement. Il est également important de noter que dans certains emplois et secteurs, un changement trop rapide peut être risqué.
La pandémie de COVID-19 a contraint les entreprises à réagir rapidement et de manière plus agile aux signaux du marché en matière de compétences. Aujourd'hui, les organisations du monde entier ont l’opportunité de s'engager durablement dans un modèle opérationnel basé sur les compétences plutôt que sur les emplois.
Comme l'a souligné Deloitte, un modèle axé sur les compétences peut apporter davantage d'agilité, d'autonomie et d'équité sur le lieu de travail. Plutôt que de se concentrer uniquement sur l'embauche pour combler des postes spécifiques, il faudrait penser en termes de compétences que l'on peut utiliser de manière flexible pour faire progresser les projets prioritaires. Cela peut améliorer la performance globale de l'organisation et attirer des talents clés.
Cette transformation ne se fera pas du jour au lendemain. Elle remet en question des décennies, voire des siècles, de pratiques conventionnelles. Pourtant, si nous réussissons, nous pourrons changer la façon dont nos organisations réagissent aux opportunités et aux menaces du marché, encourager nos employés les plus talentueux à développer et partager de nouvelles compétences, et redéfinir durablement la signification du travail.